Par Marc Coureau et Dominique Fournet
Lu récemment sur Internet concernant l’entraînement au putting : “L’angle de la face compte pour 87% dans la direction de la balle, la trajectoire du putter pour 13%. La précision du point d’impact détermine la distance. La vitesse de rotation de la balle détermine la taille du trou (chaque rotation supplémentaire réduit la taille du trou de 12% : plus on met de puissance, plus la probabilité de rentrer la balle diminue).”
Ces données sont justes pour tous les golfeurs. Elles sont certainement essentielles pour programmer un jeu vidéo. Mais vous seront-elles utiles pour améliorer votre putting ?
Dans tous les sports de haut niveau, les data sont devenues centrales. Issues de la culture expérimentale scientifique, elles font sens au niveau collectif en donnant un aperçu dans une situation donnée de la performance relative d’un athlète par rapport à l’ensemble d’une cohorte.
Ces chiffres en eux-mêmes ne sont pas directement utiles à l’entraînement. Ce qui fait leur valeur, c’est leur analyse par l’entraîneur et sa manière d’en tirer des pistes pour favoriser la progression des athlètes.
Entre de bonnes mains, ces données constituent un outil puissant. Elles permettent de s’émanciper d’une subjectivité excessive et donnent un aperçu fiable de l’évolution des performances de chaque athlète sur les critères mesurés, qui sont chaque année plus nombreux et précis. Elles sont devenues un élément essentiel de l’individualisation de l’entraînement de haut niveau vers lequel tend logiquement le sport contemporain.
Rêvons un peu : en compilant ces observations externes, on pourrait modéliser directement le comportement d’un athlète. En quelques clics dans le programme, on établirait sa force, sa vitesse, son endurance, son accélération, son toucher de balle… Et on obtiendrait un bon jeu vidéo.
La réalité est moins arrangeante car au-delà de la qualité variable de leur exploitation, les data présentent une autre limitation, moins souvent perçue.
Pour analyser l’action, elles ne couvrent que les éléments observables depuis l’extérieur. Or ces éléments (forces, vitesses, durées, fréquences, angles, amplitudes…) ne sont que le résultat externe et visible de processus internes et invisibles. Même un électrocardiogramme, qui mesure l’activité d’un organe caché, ne dit rien en soi des raisons pour lesquelles le cœur se comporte d’une manière ou d’une autre. Il ne propose qu’un relevé externe de données rendues visibles par la technologie.
Or chaque mouvement est une adaptation. Le niveau de « coordination » observé est la conséquence de l’adéquation entre le contexte interne et la question posée par le contexte externe. Chacun de ces deux contextes fluctue en permanence – même de manière infinitésimale. Le terrain n’est pas un jeu vidéo, notre réalité n’est pas digitale, le corps humain n’est pas un joystick. Pour obtenir une action visible identique, la variation de la construction interne est permanente.
Cette variation invisible, affinée par des millions d’années d’évolution, nous est littéralement vitale. En adaptant chaque mouvement avec une efficience1 optimale, notre corps préserve un maximum d’énergie et de ressources motrices pour le mouvement suivant, amélioration ainsi notre probabilité de survie.
Le mouvement naturel de chaque individu se construit donc à chaque instant de l’intérieur vers l’extérieur et ce qu’il est possible d’observer n’est jamais qu’une conséquence. Tenter d’améliorer l’efficience des fonctionnements internes et invisibles en adaptant des actions externes et visibles revient à espérer façonner les causes en modifiant les conséquences.
La mesure minutieuse de tous les aspects visibles de la performance a fait ses preuves, mais aussi trouvé ses limites. La prochaine révolution de l’entraînement tiendra à la capacité de l’entraîneur à optimiser l’expression du fonctionnement invisible de chaque individu.
1. L’efficience du mouvement s’entend comme la combinaison d’un résultat maximal et d’une dépense énergétique minimale.
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